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Comprendre une histoire : une compétence plus complexe qu’elle n’y paraît

À l’école maternelle, l’écoute d’histoires fait partie des rituels fondamentaux du développement du langage, de la compréhension et de l’imaginaire. Lire un album à voix haute, c’est ouvrir une porte vers le monde des émotions, du récit, de la narration.


Mais pour certains enfants, ce moment devient source d’angoisse, de stress, voire de souffrance corporelle.C’est le cas d’une petite fille que j’accompagne, et dont l’histoire, justement, mérite qu’on s’y arrête.


Une petite fille en détresse… face à une activité pourtant ordinaire





Elle a 5 ans.

Elle est vive, curieuse, sensible.

Mais lorsqu’on lui demande d’écouter une histoire pour ensuite répondre à quelques questions, son corps se crispe, se tend, s’agite.

Elle se roule au sol, se comprime dans ses vêtements, se mord les doigts, tire sur ses joues, force ses yeux à rester ouverts. Ce ne sont pas de « simples gestes d’inattention ». Ce sont des signes clairs d’un débordement émotionnel et sensoriel.

Le récit la submerge. L’attente la stresse. La prise de parole la paralyse.


Qu'est-ce que cette situation nous apprend ?


Cette petite fille passe systématiquement en dernier lorsqu’il s’agit de répondre.

Et cela, à lui seul, peut suffire à désorganiser totalement son expérience de compréhension.


Pourquoi ?

  • Elle a oublié le début de l’histoire au moment où on l’interroge. Son attention a été diluée par le passage des autres.

  • Elle a entendu les mêmes réponses plusieurs fois, ce qui lui donne l’impression que son avis est inutile, redondant, « bête ».

  • Elle n’ose plus. Elle se sent exposée, inintéressante. Elle se referme.

Mais il y a plus encore.


Cette élève a besoin de repères explicites avant d’écouter.

Connaître les personnages, le lieu, le problème de départ la rassure. Cela la prépare. Cela évite que son cerveau ne soit noyé sous une avalanche d’informations imprévues. Sans cela, c’est un brouillard cognitif : elle ne sait pas ce qui est important, ce qu’elle doit retenir, comment organiser ce qu’elle entend.


Qu'est-ce que cela implique pour nos pratiques pédagogiques ?


Comprendre une histoire, ce n’est pas seulement « écouter et répondre ».


C’est être disponible émotionnellement, sensoriellement, cognitivement. Et cela, certains enfants ne le sont pas spontanément. Ils ont besoin d’un accompagnement adapté.


Voici des pistes concrètes pour ajuster nos pratiques :

Avant la lecture : installer la sécurité cognitive

  • Donner un contexte clair : "Il y a deux personnages, ils vivent dans une forêt. L’un a peur, l’autre veut l’aider."

  • Nommer l’intention : "Nous allons chercher ce que ressentent les personnages."

  • Préparer l’enfant à l’écoute : "Tu pourras répondre quand tu voudras, ou choisir un copain qui commencera."


Pendant la lecture : soutenir l’attention sans l’imposer

  • Laisser l’enfant manipuler un objet pour garder les mains occupées (petit fidget, coussin lesté…).

  • Valider les postures alternatives : assis par terre, debout au fond de la classe, avec un coin cocon s’il en a besoin.

  • Lire lentement, marquer les pauses, poser des questions ouvertes sans obligation de réponse immédiate.


Après la lecture : diversifier les moyens d’expression

  • Permettre de dessiner ce qu’il a compris.

  • Proposer un résumé en images ou en mimes.

  • Offrir un temps de dictée à l’adulte pour les enfants qui n’osent pas encore verbaliser seuls.


Quand un enfant n’arrive pas à répondre après une histoire, ce n’est pas un échec de compréhension.

C’est peut-être une surcharge cognitive, un besoin d’adaptation, ou une angoisse de performance.

L’écouter, l’observer, l’accompagner autrement, c’est déjà l’aider à entrer dans le langage.


Et surtout : ce n’est pas à l’enfant de s’adapter aux normes d’une compétence, c’est à nous, professionnels, de rendre cette compétence accessible, sécure, et signifiante.

 
 
 

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